Europe, la dernière chance ?

Le 13 décembre à Strasbourg se tenait une conférence à l'École Nationale d'Administration dont le thème était l'Europe, conférence mais aussi débat principalement axé autour de l'ouvrage publié par Guillaume Klossa et Jean-François Jamet : "Europe, la dernière chance ?" disponible à la vente depuis le 9 novembre de cette année. L'ouvrage est porté par le think tank Europanova (créé en 2003) et propose un pacte européen autour de trois réflexions : la nécessaire réforme institutionnelle, la formation des élites européennes, la gouvernance économique et financière de l'Union Européenne. Pour Klossa, une des seules fois où les institutions ont fonctionné de manière fédérale, c'était dans le cadre du paquet énergie climat proposée par la Commission Européenne et adopté le 12 décembre 2008 par les 27 états membres de l'UE. Pourtant la crise qui sévit depuis 2007 nécessite une dynamique collective.

Selon lui, cela fait en effet plus d'un an maintenant que le tête à tête franco-allemand cherche à résoudre la crise par des décisions soit tardives, soit inefficaces ou non mises en oeuvre, et regrette aini que "l'intergouvernemental pour la gestion de crise ne marche pas" puisque chaque décision -comme celle d'un fond européen- met des mois à émerger pour de vains résultats. Autre problème encore dénoncé par ce citoyen européen engagé : celui de la perception d'une volonté hégémonique de la France et surtout de l'Allemagne qui exerce son ordo-libéralisme, ce qui empêche clairement de définir ensemble une stratégie de croissance.

Guillaume Klossa (blog)

La croissance justement, Guillaume Klossa n'omet pas d'en parler et évoque notamment que l'on estimait la capacité des européens à créer de la richesse pour 2010-2030 entre 1 et 2%,  cette richesse créée dépendrait alors de deux facteurs : d'un côté, celui de la croissance démographique et de ce que l'on en ferait (sachant que le coûteux papi boom arrive), et de l'autre des capacités en terme de recherche et d'innovation. La coordination économique est clairement à développer, d'autant plus que, de par notre faible croissance, on dépend de l'exportation avec nos voisins. Quant à l'innovation, comparé au Brésil ou à la Chine, elle n'est pas suivi par un éco-système pertinent. Les promesses de la stratégie de Lisbonne pour l'innovation n'ont pas été tenu et les pôles d'activité restent une initiative positive mais insuffisante.

C'est pourquoi, l'Europe, dans ce monde bipolarisé actuel, n'incarnerait plus l'avenir. De par son manque de politique en matière de démographie, de formation, d'immigration et d'innovation, l'Europe se retrouve alors en situation difficile avec un manque à gagner provenant de ses investisseurs et partenaires. Pire, l'Europe, fondée autour d'un principe de réversibilité (interdiction de la peine de mort, toute décision injuste pouvant être réversible), en aurait oublié la dignité de la personne humaine et effacerait l'individu derrière le système. Triste portrait de l'Europe que cherche à reconfigurer Klossa avec son livre, signalant par ailleurs que "l'on a fait l'union monétaire sans faire la gouvernance économique".  Néanmoins, les choses progresseraient enfin puisque l'on ose maintenant parler d'Europe fédérale là où il y a six mois encore le mot était tabou.


C'est alors au tour d'Aude Bouveresse, maître en conférence en droit public, de prendre la parole. Celle-ci revient sur les solutions multiples apportées par l'ouvrage, vers un fédéralisme qui ne se ferait pourtant pas sans heurt. Selon elle, l'élection au suffrage universel du président du Conseil Européen permettrait une plus grande légitimité de celui-ci en plus d'un débat démocratique, mais persiste le risque que le président élu ne serait alors pas du parti majoritaire au Parlement Européen, "petite faille où le traité de Lisbonne apporte des solutions sur ce point". Un risque qui est double avec en plus le renforcement d'une entité intergouvernementale qui serait encore plus forte. Bouveresse évoque surtout que le Traité de Lisbonne prévoit la réduction du nombre de commissaires, idée qu'elle semble attendre du fait qu'un commissaire par nation témoigne encore et toujours d'une volonté de maintenir l'état-nation, ce qui peut bloquer ou orienter les décisions car chacun souhaite être représenté, là où finalement la Commission a pour but d'agir au profit de l'intérêt général européen. Ce qu'il faut serait donc de mettre en oeuvre correctement ce traité de Lisbonne qui se devrait d'être "l'organe d'une légitimité intergouvernementale et de la légitimité démocratique du parlement européen".

Idées pour lesquelles Guillaume Klossa répond qu'il est contre l'élection du président européen au suffrage universel si la fonction n'est pas fusionnée avec celle du président de la Commission, tout simplement car ce serait considérer que le président du Conseil a un rôle prépondérant sur celui de la Commission. Pour lui, l'on doit pouvoir "inventer la première démocratie transnationale du monde" et que si l'on a fait l'Europe des droits, l'on n'a toujours pas fait "L'Europe des hommes". Interrogé à ce sujet sur le manque d'âme de l'UE, Klossa répondra d'ailleurs qu'en 36 ans de Conseil Européen, pas une seule session sur la culture européenne n'aura vu le jour; ainsi, remettre de l'âme dans tout cela reviendrait à faire prendre conscience de l'histoire commune des européens. 

L'un des grands thèmes est alors de s'interroger sur la formation des élites européennes, sujet sur lequel intervient ensuite Michel Mangenot, maître de conférence en science politiques, qui s'interroge sur les méthodes et la finalité. En effet, à quoi devrait-t-on former des élites européennes, à la théorie de l'Europe ou à quelque chose de beaucoup plus pragmatique ? Quel en serait le but dans une Europe encore peu politisée où il apparaît alors normal qu'il n'y ait pas d'élite européenne à proprement parler ? Et quel serait le rapport avec la recherche européenne ? Questions auxquelles répond Klossa avec l'exemple des États-Unis qui chaque année dépense 400 millions de dollars pour former quelque milliers de leader de l'identité américaine. L'une de ses grandes critiques lors de cette conférence vise alors le manque de mobilité des jeunes au sein de l'UE, il s'est vu confirmé ce fait par une étude prouvant qu'au fond les jeunes n'aspiraient pas à aller chez le pays voisin. Il s'agit alors pour lui de redonner ce goût à la mobilité car il faut l'apprentissage de la différence, et pour cela un certain financement serait nécessaire car pour l'instant seuls 2% d'étudiants suivent ERASMUS. Il faut d'ailleurs noter que, suite à une critique sur les rémunérations élevés des fonctionnaires européens, G.Klossa et A.Bouveresse répondent que le budget de l'UE ne représente au final que 2% de la richesse des États membres, et beaucoup de l'argent investi s'avère inefficace, cela d'autant plus qu'il manque un certain nombre de compétences pour un certain nombre de sujets au sein des institutions. 


Enfin, dernier problème mis en avant, celui du mythe des États ayant rejoint l'UE avec l'illusion d'une situation budgétaire saine et qui maintenant se retrouvent impliqués dans des rigueurs budgétaires avec primes de risque qui veulent que l'on sanctionne ceux déficitaires avec des emprunts à coût plus élevé. Un engrenage improbable qui veut que l'on aille toujours "plus loin dans les règles d'or" selon Guillaume Klossa, engrenage qui mène alors à une dépolitisation des politiques et un risque de fragmentation de l'Union Européenne. Face à la crise, la crainte d'une Europe à deux vitesse ne s'est pas traduite dans les faits, puisque seul le Royaume-Uni s'est exclu de l'accord intergouvernemental prévu au cours du Conseil Européen de la semaine dernière. Guillaume Klossa estime donc que l'avenir des États européens passe par une Union plus fédérale, plus intégrée, démocratique, et surtout plus efficace, d'où cet ouvrage dans lequel on peut trouver -de l'avis des intervenants- des propositions de qualité mais qui restent toutefois discutables. 


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Commentaires

  1. la crise est un faux problème pour l'Union Européenne, je te laisse méditer sur cela.

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  2. Je crois que s'il fallait analyser profondement la "question européenne" il faudrait revenir juste avant la chute de l'empire romain d'occident, il y a toujours une sorte de revanchisme chez les germaniques... Je considère le projet européen comme l'aboutissement du project de la Renaissance-Lumières qui visait à retrouver l'esplendeur d'une Europe greco-romaine classique unie maintenant le problème de l'intégration européenne est là! Il suffit de regarder la Belgique Nord-Sud, Germaniques-Latins...

    Je pense donc que la construction de l'Europe doit se planifier sur le long terme avec des objectif à court terme, le premier pas, la conféderation acompagnée d'une éventuelle regionalisation pour parvenir avec succès à une Europe Féderale (à l'instar de la Suisse mais en plus grand) ...

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