La représentation sexuelle et ses évolutions

Âmes pieuses et chastes ou autres Tartuffe en puissance, ce sein que vous ne sauriez voir ne sera point ici voilé sous un subtil mouchoir blanc, c'est pourquoi il vous est conseillé d'éviter cet article. Si toutefois vous avez plus de 18 ans, ou que vous voulez braver cette interdiction en carton-pâte qui ne sert qu'à éviter une vilaine peine pour toute personne s'exposant à mettre du contenu pornographique visible par un mineur (ce qui est le cas partout sur le net donc); et bien libre à vous de vous livrer à pareille liberté et à toute autre concupiscence dont l'hédonisme et la nature vous proposeront de jouir dans l'existence. L'article ne touche réellement à la pornographie que dans sa dernière partie.

Au cours des siècles, les médias et les idées que l'on se faisait de la pornographie n'ont eu de cesse d'évoluer jusqu'à atteindre ce que l'on en connaît aujourd'hui. Si désormais on en trouve en abondance et pour tous les goûts, c’est le fruit de plusieurs siècles de continuité. Au fond, la représentation sexuelle n'a jamais changé, elle a simplement suivi le cours des évolutions humaines, passant de dessins érotiques dans des cavernes au format vidéo X en 3D que l'on trouve maintenant. 

Quelque chose qui n’a jamais changé en revanche dans tout ce qui touche au sexe, c’est son succès, l'engouement qu'il provoque, car là où il y a tabous autour du sexe, il y a forcément désir de transgressions. Le raz de marrée au box office à Hong Kong cette année pour un film classé X et en 3D n’en est qu’un énième exemple, allant jusqu’à dépasser Avatar au box office dans la région. 


Comme l’exprime Jean Bertrand dans son ouvrage, avant l’écriture, la pornographie était surtout gestuelle. Durant la préhistoire on utilisait le sexe comme appel aux déesses de la fécondité. On mêlait usages mystiques et orgasmes dans des rituels et autres pratiques du genre. Sur les murs des cavernes, on peignait des scènes de fellation, de masturbation, de sodomie, de zoophilie, et ce partout, peu importe le territoire, il y avait un goût universel porté pour la chose. On sculptait même des vulves et bâtons phalliques dans la pierre.

Plus tard, au troisième millénaire avant J.C., on trouvait parmi une multitude de tablettes rédigées par des sumériens en écriture cunéiforme, une célébration du sexe (surtout féminin), et dans ces époques anciennes il y avait toujours une déesse de la fécondité ou du sexe. En Grèce encore,  cela était considéré comme un besoin naturel. On trouvait de la bestialité, pédérastie, saphisme (homosexualité féminine), pédophilie (Eros et Aphrodite), inceste (le très célèbre Œdipe avec sa mère) et fétichisme, dévoilant ainsi une large diversité dans les plaisirs. Certains de ses goûts se retrouvaient mis en scène sur des vases de l’époque hellénistique (VI-V-IVèmes siècle avant Jésus Christ).


Ne pas omettre non plus le très célèbre Kamasutra attribué à Vâtsyâyana et qui daterait du IV-VIIème siècle, recueil indien, traduit seulement en 1883 en Anglais mais pas encore autorisé dans les pays anglophones. Il est devenu depuis le plus fameux manuel à usage sexuel en Inde, avant de trouver une postérité universelle.

Durant la Renaissance, le Décaméron de Boccace est parmi les premiers ouvrages à être imprimé après l’essor de l’imprimerie au milieu du XVème siècle, c’est un célèbre recueil de débauches amoureuses et tragiques. La nudité a eu une grande percée dans les beaux arts durant la Renaissance, il s'agit principalement de nus féminins, qui exprimaient à la fois un idéal de beauté mais commençaient également à cacher une volonté proprement érotique où le charme attirait instinctivement le désir du spectateur, ce qui, forcément, entraînait souvent des polémiques.

Sandro Botticelli - La naissance de Vénus (1485) 

 Raphaël (Raffaello Sanzio) - Les trois grâces (1504-1505)

Continuons l'histoire pour nous intéresser alors aux libertins durant le XVIIème siècle, ceux-ci ont subit la pression des dévots redoutables, certains sont morts de leurs excès, quoique la justice n’était pas équitable pour tous, les grands barons échappant souvent aux jugements de mœurs.  Toute une philosophie hédoniste s’est développée à cette époque, les cercles libertins étaient nombreux. Il existait également des poèmes licencieux par des auteurs célèbres, tel que Théophile de Viau.  Le cas de Sade au XVIIIème siècle est vu comme un apogée, un summum de dérives outrageuses mis dans divers livres et gravures. Cette technique de représentation est d'ailleurs très utilisé à cette époque, on en retrouve même qui transgressent le milieu religieux, à voir ici.

Extrait d'une centaine de gravures accompagnant des ouvrages de Sade (fin XIIIème siècle)

Le XIXème siècle quant à lui fut très emprunt à la prostitution et aux maisons closes qui se développeront jusqu'à leur interdiction en France en 1946. C'est également la période de la naissance de la pornographie dite moderne. En effet, selon certains historiens, la pornographie serait une invention moderne car fait social inédit des sociétés occidentales et qui n’apparaît qu’à la fin du XVIIIème siècle, en pleine période de déchristianisation.

Le mot lui-même, pornographie, n'est entré dans les dictionnaires anglais et français qu'au XIXème siècle. C'est alors la popularisation des textes et images sexuelles. L’influence des églises restait tout de même encore grande, d’où une certaine "pornophobie", l’ostentation effrayait de par l'image que l'on en diffusait. Nombreuses ont été les œuvres à être jugées comme licencieuses, dépravées et autres adjectifs outranciers, les affaires de mœurs n’étant jamais bien loin. Ce fut notamment le cas de Madame Bovary de Flaubert ou encore Les fleurs du mal de Baudelaire, bien qu'ils n'avaient absolument rien de pornographique. Au XVIIIème siècle on a également découvert des œuvres érotiques à Pompéi, aux fouilles d’Herculanum, l’exposition de ses œuvres était réservée à un musée secret interdit aux pauvres, aux femmes et aux enfants.



Après la révolution française, l’heure de la pornographie n’était plus au procédé de ridiculisation de personnes religieuses ou d’exalter la fécondité sous le domaine religieux, mais servait bel et bien alors de stimulation sexuelle pour les consommateurs. La consommation de textes ou d’images avec activités sexuelles explicites n’a été soumise à la représentation morale qu’assez tardivement, à partir du milieu du XIXème siècle explique l’ouvrage de Ruwen Ogien.  

Une première loi fédérale aux Etas-Unis réprimant l’obsénité est créée en 1842, et en 1868 c'est au tout de la Grande-Bretagne où il y avait un critère permettant de juger du caractère obscène d’une œuvre. Quelque chose était jugé obscène s'il était susceptible d’être vu par un dépravé ou personne immorale. Ce paternalisme latent complètement subjectif fut tout de même appliqué un demi-siècle aux US, près d’un siècle au Canada et encore plus en Grande-Bretagne. Vint enfin l'abandon aux U.S. en 1933 de cette loi avec le procès relatif d’Ulysse de Joyce qui échappa au caractère "jugé obscène" car est un mérite littéraire. Ceux qui n’avaient pas ce mérite continuaient quant à eux encore à être censurés. 

En fait, lorsque ces œuvres ne dépassaient pas un cercle instruit et fortuné, elles ne posaient strictement pas de problèmes, c’était seulement lorsqu’elles trépassaient ces limites-là pour atteindre le milieu populaire -milieu des pauvres et faibles d’esprit- qu’elles commençaient à déranger et à être interdites, selon le système subjectif exprimé plus haut. C’est alors là qu’on touche à la « pornographie » dite dangereuse, immorale et dégradante, précisément au moment où elle se tourne vers un plus vaste public jugé plus simplet. Il s’agissait donc de vouloir contrôler ce que faisait le petit peuple, on craignait le potentiel subversif de la pornographie.

  
Gustave Courbet - L'origine du monde (1866)                                         Orlan - L'origine de la guerre (1989)

La pornographie passe de plus en plus de l’écrit au visuel, profitant de la naissance du cinéma grâce aux frères Lumières en 1895. Le tout premier baisé au cinéma s'est fait en  1896 dans The kiss qui ouvre définitivement la porte au rapprochement des corps et la mise en valeur de l'intimité. Arrivent alors les premiers film X à partir de 1896, tournés vite et clandestinement, de courte durée et destinés à un riche public ou aux bordels. Le premier film X connu à avoir un scénario date de 1908 : A l’écu d’or ou la bonne auberge (introuvable sur sites légaux).
  
La vidéo X se caractérise par la précipitation sexuelle, le récit ne tenant qu’une place primaire, presque inexistante, il met en scène une immédiateté sexuelle. Leur intérêt ne vient pas seulement de voir des personnes faire l’amour, mais de vivre le sexe d’une autre façon, en s'imaginant à la place de l'un des personnages, même principe que le cinéma donc. Son succès démontre bien un appétit, désir constant pour le corps dans ce qu'il a de plus attrayant et définitivement de sexuel. 

Voir les deux films de courte durée.
(Destiné à un public majeur)

Je vous laisse la surprise de découvrir l'ouverture et la liberté avec lesquelles les personnes agissent, le résultat est assez impressionnant à découvrir : Film muet, noir et blanc, petite mélodie (bruitages fun peut-être rajoutés), et on assiste alors à la nature qui opère, le geste est simple, loin de toute moralité imposée et absolument sans aucun tabous, il se dégage alors de cette vidéo patrimoniale un véritable intérêt culturel. Les vidéos X actuelles n'ont pas grand chose de plus pour ce qui est du genre pornographique soft, si ce n'est une pilosité plus moderne et quelques nouveaux instruments. Vous trouverez également une liste de films classés comme érotique sur l'Europa Film Treasures, il s'agit principalement de nus dans les images. Enfin, un autre film pornographique datant de 1915, intitulé A free ride, avec trois personnages qui, plus surprenant encore, font furtivement leurs besoins devant la caméra avant de se livrer à diverses activités sexuelles, comme quoi, tout cela existe depuis déjà plus d'un siècle.

CLAUDE-JEAN BERTRAND, ANNIE BARON-CARVAIS, Introduction à la pornographie, un panorama critique, Paris, La musardine, 2001
PATRICK BAUDREY, La pornographie et ses images, [Paris], Armand Colin; 1997
RUWEN ORGIEN, Penser la pornographie, Paris, PUF, 2003
  

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Commentaires

  1. Vraiment un superbe article, surtout n'hésite pas à approfondir le sujet, et qui sais tu as peut être là un futur sujet de thèse.

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  2. Objectivité et rigueur impressionnante dans cet article, tu évites les écueils auxquels on aurait ou s'attendre. J'attends impatiemment de nouveau textes!

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  3. Merci beaucoup à vous deux.
    En tout cas "Thibaud" pour te répondre, tous les articles ne seront pas de cet envergure, je ne peux pas me livrer à un tel travail tous les jours ;-) Il y aura des articles de plus petite envergure, type news ou test comme les 3 premiers de la semaine dernière :-)

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  4. Et il y aura des articles types culture générale sympa à replacer en diner mondain (ou autres) ?
    Sinon, très bon article, encore (mais je te l'apprends pas), et surtout très bonnes vidéos de Libération ! J'ai préféré Sœur vaseline à Chez le docteur, mais j'ai été totalement scotché !

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  5. A noter : l'oeuvre face a Courbet est "l'origine de la guerre" par Orlan (et non Orly.!) en réponse/opposition a "La naissance du monde"
    Sinon, bravo pour votre article.... Très instructif!!!

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  6. Oups pardon, faute de frappe je corrige, en plus l'origine de la guerre je le savais, je crois que je commençais à fatiguer sur la fin au moment de mettre les légendes.

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  7. Je confirme ne pas être l'auteur de L'origine de la guerre... Hum.
    Bon article, les extraits vidéo sont très bien choisis, et malgré l'angle chronologique, la lecture est agréable. Bravo.

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  8. J'apporte une nuance à la pédophilie dans le monde grec. Il me semble qu'elle est condamnée, la pédérastie en revanche, moins. La chose n'est pas aussi linéaire dans les cités que dans les sphères divines. Ainsi il y a des variations notamment entre Athènes et Sparte (évidemment). C'est tantôt la pédérastie, tantôt l'homosexualité qui est montrée du doigt. Dans les deux cas, la fin de l'éphébie marque la limite entre les deux états : enfant adulte.
    A voir PLATON et XENOPHON sur le sujet.

    Passons à la gente féminine. Tu as oublié la haut combien célèbre et si bien étudiée par Daniel ARASSE : Vénus d'Urbino du TITIEN. Oreilles pudibondes fermez vous, oui, elle se masturbe. Pratique encouragée à l'époque par la médecine et par la Sainte Mère l'Eglise puisque la conception n'était pas envisagée sans plaisir. On incitait donc les mariées à préparer seule leur jouissance. Comme quoi même le Pape a été à un moment donné clairvoyant sur l'incapacité masculine à satisfaire les femmes.

    Pour ce qui est de la Renaissance, on peut ne pas se limiter aux exemples féminins. Certaines représentations de Saint Sébastien, notamment celles usant de génie dans la carnation avaient parait-il un effet ravageur sur les désirs de chair des femmes... et des hommes. On peut en effet hisser Saint Sébastien au panthéon des premières icones gays.
    A voir LOMAZZO, Trattato della pittura sur le sujet traduit par… Daniel ARASSE : "Les spectacles lascifs d'hommes (nus) peuvent contaminer l'esprit des femmes. C'est pourquoi on fait à saint Sébastien, quand il est attaché à son arbre et criblé de flèches, les membres tout colorés et couverts du sang de ses blessures : car il ne faut pas qu'il se montre nu, beau, charmant et blanc..."

    N'oublions pas dans tout ça le Kamasutra occidental moderne de Giulio ROMANO : les Modi (gravures sur les positions sexuelles) qui lui valu les foudres du Saint Siège et les prisons de ROME. La petite histoire ne dit pas si une copie des dites gravures fut versée au dossier du contrevenant dans les archives judiciaires du Vatican.

    Bref, sujet inépuisable quoique je dois reconnaître que suis arrivée au bout de mes références historico-artistiques en la matière. D'aucuns diront d'ailleurs qu'elles sont bien centrées sur l'époque moderne. A charge pour toi jeune homme de t'entourer de spécialistes des autres temps si tu comptes pousser plus loin le tour de la question.

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